Article publié par Radio-Canada (La Presse canadienne) le 10 février 2023
Les violations des droits de la personne et les crimes environnementaux perpétrés par certaines minières canadiennes à l’étranger diminueront le jour où Ottawa adoptera une loi sur la diligence raisonnable en matière de droits de la personne et environnementaux, selon l’organisation Mines Alerte Canada. Cette dernière a été invitée à se prononcer sur la question, lundi au Parlement, par le Comité permanent du commerce international.
En novembre dernier, un groupe de plus de 20 Tanzaniens et les membres de leur famille ont déposé une plainte contre Barrick Gold, alléguant qu’eux-mêmes ou leurs proches avaient été battus ou tués par des forces de sécurité sur le site d’une des mines que l’entreprise canadienne exploite dans ce pays africain.
Les plaignants poursuivent Barrick Gold devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et avancent que cinq personnes ont été tuées par la police, que cinq autres ont été torturées et qu’au moins cinq autres ont été gravement blessées par les gardes de sécurité.
Selon la déclaration des plaignants, la mine est située au milieu de sept villages et dans l’une des régions les plus pauvres de Tanzanie, où le peuple autochtone Kurya dépendait de l’exploitation minière à petite échelle et non industrielle, jusqu’à ce que plusieurs membres de la communauté perdent leur revenu principal, lorsque la mine a entamé l’exploitation commerciale.
Les habitants à la recherche d’un moyen de subsistance auraient donc décidé de se rendre dans des zones de stériles de la mine pour récupérer des roches contenant des traces d’or.
« Malgré le fait que les roches sont des déchets et n’ont que peu ou pas de valeur commerciale pour Barrick, les agents de sécurité à la mine North Mara ont l’habitude de réagir par la violence contre les membres de la communauté qui tentent de s’assurer un moyen de subsistance grâce aux stériles de la mine. » – Extrait de la déclaration des plaignants
Barrick Gold nie les accusations et compte se défendre. Cette poursuite n’est que l’exemple le plus récent d’une série d’allégations de violations des droits de la personne et de l’environnement par des minières canadiennes à l’étranger, selon Catherine Coumans, qui était invitée à répondre aux questions des députés du comité permanent du commerce international, à Ottawa.
« Depuis 23 ans que je travaille pour Mines Alerte Canada, je n’ai pas vu de diminution d’abus de droits de la personne ou de droits environnementaux, et on ne parle pas de quelques pommes pourries, mais plutôt de réalité systémique dans laquelle les minières canadiennes opèrent en toute impunité », a indiqué celle qui est coordinatrice de la recherche et du programme Asie et Pacifique à Mines Alerte Canada.
Catherine Coumans a donné neuf autres exemples de poursuites intentées contre des minières canadiennes depuis 1997 pour des crimes qui auraient été commis à l’étranger. « Ces cas concernent des voies de fait, des fusillades, des viols collectifs par des gardes de sécurité, l’utilisation d’esclaves et la contamination de rivières », a-t-elle précisé.
Le directeur politique de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, Jeff Killeen, a reconnu, lors de la réunion du comité, que des incidents sont survenus, mais de façon générale, selon lui, les minières canadiennes qui travaillent à l’étranger font preuve des meilleures pratiques.
Une ombudsman qui n’aurait pas suffisamment de pouvoir
En 2018, le gouvernement Trudeau a créé le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) pour, entre autres fonctions, aider les communautés touchées par l’exploitation minière canadienne à l’étranger.
Son mandat est notamment d’examiner les plaintes d’allégations d’atteintes aux droits de la personne découlant des activités d’entreprises canadiennes à l’étranger dans les secteurs du vêtement, des mines, du pétrole et du gaz.
Lors de la création du Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises, le Canada a pris l’engagement que l’ombudsman aurait le pouvoir d’enquêter pour documenter et contraindre des témoins, mais un an plus tard, lorsque Sheri Meyerhoffera a pris ses fonctions comme première ombudsman, elle n’a pas reçu ces pouvoirs, a dénoncé la représentante de Mines Alerte Canada.
Le député conservateur Richard Martel a demandé à Catherine Coumans si elle avait été témoin d’un cas où le rôle de l’ombudsman a contribué au changement de certaines pratiques des entreprises minières à l’étranger. Depuis sa création, il y a cinq ans, non, a répondu Mme Coumans.
En réponse à une question du député Richard Canning, du Nouveau Parti démocratique (NPD), Catherine Coumans a indiqué que la seule façon de faire cesser les crimes et les abus des entreprises minières canadiennes à l’étranger consiste à adopter une nouvelle loi.
« On ne peut pas étendre nos lois aux minières canadiennes qui œuvrent à l’étranger », a-t-elle expliqué, ajoutant que le Canada peut toutefois adopter une loi qui oblige toutes les compagnies incorporées au Canada d’accomplir un devoir de diligence en matière de droits de la personne et de protection de l’environnement, « ce qui veut dire que ces compagnies seraient obligées par la loi d’examiner toutes leurs opérations et celles de leurs [sous-traitants], pour voir si certaines vont à l’encontre des droits [de la personne] et de l’environnement ».
Une telle loi devrait également obliger les entreprises à rendre compte publiquement des mesures prises pour prévenir les atteintes aux droits de la personne et à l’environnement, selon Mines Alerte Canada.
Catherine Coumans a indiqué aux membres du comité permanent du commerce international que la France a déjà adopté une loi semblable et que l’Union européenne le considère. Le comité permanent du commerce international a entrepris une étude concernant les entreprises minières canadiennes à l’étranger et devra faire un rapport de ses constatations et recommandations à la Chambre.
Au printemps dernier, le NPD a déposé deux projets de loi, C-262 et C-263, qui visent à ce que les entreprises canadiennes à l’étranger rendent des comptes concernant les droits de la personne et environnementaux. Les deux projets de loi ont seulement franchi l’étape de la première lecture.