HomeCommuniquéLe lettre d’Amnistie Internationale Canada adressée au premier ministre Harper et le président Calderon

Le lettre d’Amnistie Internationale Canada adressée au premier ministre Harper et le président Calderon

Source
Amnistie Internationale
2010-05-24

21 mai 2010
Premier ministre Stephen Harper
Bureau du Premier ministre 80 Wellington Street Ottawa, Ontario K1A 0A2
Téléc. : 613-941-6900
Courriel : pm@pm.gc.ca
Lic. Felipe de Jesús Calderón Hinojosa
Residencia Oficial de « Los Pinos », Casa Miguel Alemán
Col. San Miguel Chapultepec
México D.F., C.P. 11850, MÉXICO
Téléc. : 011 52 55 50 93 5321
Courriel : felipe.calderon@presidencia.gob.mx
Messieurs le Premier ministre Harper et Président Calderón,
Nous vous écrivons cette lettre au nom d’Amnistie internationale Canada (branches francophone et anglophone) et Amnistía Internacional México pour vous prier de traiter en priorité le sujet des droits humains lors de la visite de M. le président Calderón au Canada.
Nous comprenons que l’ordre du jour de la rencontre portera essentiellement sur le renfort de la coopération entre le Canada et le Mexique, notamment afin de trouver des stratégies pour promouvoir le commerce et l’investissement et parler des problèmes de migration et de sécurité.
Tous ces thèmes ont un sérieux impact sur les droits humains et il est important de les aborder directement et de se concentrer sur les discussions et le processus décisionnel. Il est fondamental d’adopter une approche centrée sur les droits humains pour trouver des solutions qui garantissent la sécurité, la dignité et le bien-être de tous les citoyens de nos pays.
Développement économique et droits humains :
Votre visite coïncide avec un moment de grande tourmente économique qui renforce d’autant plus le besoin de prêter une attention particulière aux droits humains. Tel que l’a déclaré Amnistie internationale lors de sa soumission au Sommet des Amériques l’année dernière, le risque de voir les membres de la société les plus marginalisés et tenus à l’écart du pouvoir ignorés des débats entre les gouvernements et de l’adoption de nouvelles mesures économiques, est fondé et croissant. Les conséquences pourraient être extrêmement sérieuses pour des personnes qui ont déjà du mal à pallier aux besoins humanitaires les plus basiques.
Au Mexique, la population autochtone et les communautés marginalisées, dont les terres ont déjà été sollicitées pour le développement économique, ont été exposé au risque d’être harcelé, exproprié de force ou nié le droit à une information et une consultation en bon ordre. Les droits des communautés à leur terre et à leur maison ont été ignorés ou remis en cause pour permettre l’exploitation des ressources locales.
De la même façon, l’augmentation des menaces, attaques et persécutions est tout aussi inquiétante surtout qu’elle se traduit parfois par un abus du système judiciaire ou de ceux qui ont travaillé légitimement pour défendre les droits économiques, sociaux et culturels des peuples autochtones et des communautés marginalisées, travail qui les amène souvent se confronter à des droits qui ont été acquis par la force. Un exemple particulièrement flagrant est l’assassinat en novembre dernier au Chiapas de Mariano Abarca Roblero, un des dirigeants du Réseau Mexicain des personnes Affectées par l’exploitation Minière. Des membres de sa famille et lui-même avaient été menacés à plusieurs reprises avant l’assassinat. Mariano Abarca Roblero a pris la tête de protestation contre la compagnie minière canadienne, qui, selon les membres de la communauté, pollue et nuit à l’environnement. Un autre cas emblématique très perturbant est celui de Raúl Hernández de l’Organisation du peuple indigène me’phaa (OPIM), qui est incarcéré injustement à Ayutla, dans l’État de Guerrero depuis le 17 avril 2008, accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis.
Et ces cas sont loin d’être des cas isolés. Amnistie internationale a documenté d’autres cas où des activistes qui défendaient le droit des communautés à participer au processus décisionnaire de projets de développement économique et d’extraction de ressources ont été persécutés, menacés et attaqués. Il est impératif que les personnes en danger reçoivent une protection efficace et que les menaces et attaques contre ces activistes soient correctement menées afin de traduire les coupables en justice.
Il est également indispensable de mettre les droits humains au coeur des plans économiques et énergétiques. Cela implique de s’engager à :
• Prendre des décisions avec la participation active et informée de toutes les personnes concernées et de s’assurer que les personnes concernées recevront des renseignements clairs, détaillés et fiables sur les projets et leurs conséquences.
• Évaluer les possibles conséquences des politiques de commerce et d’investissement et prendre des mesures pour corriger tous les effets néfastes que cela pourrait avoir pour les droits humains.
• S’assurer que les droits des autochtones sont respectés, notamment leur droit à un consentement libre, préalable et avisé
• Adopter des normes obligatoires et un contrôle indépendant pour éviter que les entreprises n’enfreignent les droits humains.
• Respecter le droit de tous les citoyens à s’exprimer en paix et à protester sans crainte.
Il est important de faire face à cette situation ou le risque de conflits, répression et violence risque de s’aggraver.
Sécurité et droits humains :
Amnistie internationale reconnait la gravité de la crise de sécurité publique auquel fait face le Mexique, où des cartels de drogue puissants sont responsables de milliers de kidnappings et de meurtres d’une violence scandaleuse. Les niveaux de violence continuent de croître malgré le déploiement de quelque 50 000 troupes policières.
Amnistie internationale reconnaît que le gouvernement mexicain a clairement la responsabilité de combattre le crime organisé par tous les moyens légaux en son pouvoir. Cependant, nous sommes très inquiets de la tendance préoccupante et croissante de violation des droits humains perpétués par des membres de l’armée mexicaine dans le contexte d’opérations pour combattre le trafic de drogue et le crime organisé. Rien qu’en 2009, 1 791 plaintes ayant trait aux droits humains ont été enregistrées par la Commission nationale mexicaine des droits de l’homme. Parmi les abus, on recense des disparitions forcées, des meurtres hors la loi, et des tortures avérées commises par des militaires mexicains. Cela représente une augmentation de près de 1 000 % depuis 2006. Entre mars 2008 et septembre 2009 dans l’État de Chihuahua uniquement, la Commission des droits de l’homme pour l’État de Chihuahua et un bureau de plaintes municipales à Ciudad Juárez a reçu plus de 1 300 plaintes pour abus à l’encontre de militaires. Ces abus contribuent à la détérioration de la sécurité nationale au Mexique.
Amnistie internationale est également inquiète du fait que les autorités civiles et militaires ne font souvent pas d’enquêtes à propos des plaintes d’abus déposées à l’encontre de membres de l’armée de façon rapide, impartiale et efficace, afin de s’assurer que les coupables soient jugés. Les quelques cas d’abus militaires menés à bien sont jugés devant une Cour martiale virtuellement fermée où les victimes et leurs familles n’ont pas accès à l’information ni à leur statut, les empêchant ainsi de pouvoir contester la procédure judiciaire. Le manque d’indépendance et d’impartialité des procureurs militaires et des Cours martiales s’est traduit à plusieurs reprises par le déni de justice pour les victimes et l’impunité pour les auteurs du crime. Et même selon les autorités militaires, seul un militaire a été jugé et condamné pour violation des droits humains au cours de la présente administration.
Amnistie internationale vous prie de reconnaitre la gravité et l’ampleur des rapports d’abus des droits humains commis par des membres de l’armée, ainsi que le niveau de complicité des autorités civiles pour couvrir ces abus. Il est impératif de prendre des mesures immédiates pour garantir que les autorités civiles effectuent des enquêtes rapides et impartiales de toutes les plaintes reçues pour que les responsables soient jugés et les victimes dédommagées.
En novembre 2009, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a condamné un militaire mexicain dans le cas de la disparition forcée de Rosendo Radilla en 1974. La peine exigeait, entre autres, aux autorités mexicaines de réformer le Code pénal militaire afin de garantir que tout le personnel militaire impliqué dans les violations des droits humains puisse faire l’objet d’une enquête et être jugés par les autorités judiciaires civiles. Amnistie internationale vous prie de prendre des mesures immédiates pour respecter cette décision.
Assurer le contrôle et la responsabilité des forces de sécurité impliquées dans les opérations policières est une obligation essentielle de l’État. L’enjeu est capital étant donné qu’il ne peut pas y avoir de sécurité publique si le public perd sa confiance en les institutions de l’État à pouvoir protéger les droits humains et la justice.
Mobilité et droits humains :
Compte tenu de la gravité et de l’étendue des violations des droits humains au Mexique, il est particulièrement important que le système de détermination des réfugiés au Canada demeure accessible aux ressortissants mexicains. Dans ce contexte, Amnistie internationale a écrit au gouvernement canadien pour lui exprimer ses doutes au sujet de la décision de juillet 2009 d’imposer un visa aux ressortissants du Mexique qui souhaitaient se rendre au Canada. En annonçant ce changement politique, le gouvernement canadien a clairement exprimé sa volonté de restreindre le flux de demandeurs d’asile voyageant au Canada. Amnistie internationale a prié le gouvernement canadien de lever les exigences de visa ou de mettre en place des mesures qui ne serviront pas d’obstacles aux individus en quête d’asile. Amnistie internationale reconnait que les états ont un droit légitime à contrôler l’entrée des ressortissants étrangers sur leur territoire. Nous réalisons que la demande de visa est un outil que les gouvernements peuvent instaurer légitimement dans ce but. Cependant, nous sommes opposés à l’utilisation des visas comme outil pour restreindre l’accès aux procédures de détermination du statut de réfugié. Le Canada a récemment introduit la Loi C-11, qui instaure des changements à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et cherche à limiter l’accès aux procédures uniquement aux individus qui souhaitent demander l’asile mais qui proviennent de pays que le Canada considère comme « sécuritaire ». Compte tenu des déclarations précédentes du gouvernement canadien concernant le Mexique, le Mexique devrait répondre aux critères et être considéré comme un pays « sécuritaire » si la Loi venait à passer en ces termes. Amnistie internationale est très préoccupée quant à la façon qui sera utilisée pour déterminer si un pays est « sécuritaire » vis-à-vis de protection des réfugiés, et a documenté ses doutes en ce qui concerne le respect des droits humains au Mexique. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, les individus continueront à quitter le Mexique en quête de sécurité dans les autres pays. La migration est mieux contrôlée par la mise en place de mécanismes robustes de protection des droits humains à la fois dans les pays émetteurs que dans le pays hôtes. Les contrôles de visa et la liste des pays « sécuritaires » ne font que s’attaquer à un symptôme plutôt que de s’occuper des véritables racines d’une telle migration. 4 | P a g e
Nous vous prions de prendre en compte nos recommandations au moment de chercher une solution positive pour résoudre un problème d’une telle importance. La protection des droits humains des citoyens de nos deux pays dépend de votre aptitude à diriger et à prendre des mesures concrètes.
Veuillez agréer l’expression de nos sincères salutations,
Alberto Herrera Aragón
Director Ejecutivo
Amnistía Internacional México
Alex Neve
Secretary General
Amnesty International Canada (English Speaking Branch)
Béatrice Vaugrante Directrice Générale Amnistie internationale Canada francophone